may i love you — Nova ♥

« Il y avait ces voûtes de pierre sortant du sol; s’élevant vers les cieux. Il y avait cet endroit qui, toujours; mettait le rouge aux joues. Aussi Ji-Young avançait-il, porté par une de ces démarches qui ne lui ressemblait pas. Il semblait à l’aise; si ce n’était pas confiant — dans son univers. Ayant dans son sac des vêtements, et quelques autres biens précieux qu’il avait récupéré la veille lors de l’arrivée des rations; il s’était dit pourquoi pas.


Il avait les moyens — le sourire aux lèvres.
Il avaient envie, oui; de cette folie. De cette surprise qui déjà, imaginait se peindre sur le visage de sa belle amie Nova. Se préparait-elle à voir un énième client; inconnu ? A devoir embrasser de ses bras un autre homme — toujours différent de la veille, quand il n’évoquait pas des traits vaguement familiers ? Se demandait-elle comment il serait ? Indifférent, jamais vraiment; peut-être même violent ? Ou attendait-elle; comme lui-même avait attendu sa sentence, le jour de son procès ? Attendait-elle; l’air absent, la tenue abstraite ? 


Elle était un mystère.
Une beauté, aussi; une confidente. Son souffle frais, son calme et son seul point d’attache au réel; au concret. A ce qu’il représentait; oui. Elle était ce qui faisait naitre en lui amour et affection, et qui savait lui octroyer mots et histoires. Lui aussi, avec le temps; avait fini par la connaitre, l’appréhender, la respecter. Et quand il pensait à elle; amie, confidente, sauveuse — ses yeux s’ourlaient d’étoiles. Il se sentait si reconnaissant, oui; d’avoir pu la rencontrer. Comment avait-elle pu décider, un jour; de l’accepter ? De lui rendre once d’attention ?

Il la sentait fragile, des fois. Ne lui souhaitait que le meilleur — le vrai, l’incontestable.
Aussi cela lui faisait un peu mal; de la voir ne plus croire, de la voir chuter, dériver. Et il voulait la prendre tout contre lui; la bercer et la faire s’aimer, s’estimer. Il voulait la teindre de bonheur, d’acceptation; de sympathie. Il voulait lui apporter ce qu’eux deux avaient perdu, la rendre forte — la rendre elle. Il voulait la voir rayonner et déborder d’elle-même; oui. La voir rire et sourire d’elle-même, par elle-même.

Mais c’était si compliqué.
Comme cette île; cette fichue condition. Comme ces étiquettes qu’on leur avait collé sur le front — comme ce meurtre, enfin. Le chemin serait long, se disait-il. Mais il avait, quoi; quatre ans ? Une éternité, en somme; à passer à ses côtés. Alors peut-être qu’ils pourraient encore s’aider, se soutenir et s’aimer. Comme elle avait été là, alors qu’arrivé depuis peu; il avait craint de dépérir. De se perdre, lui Ji-Young; et de s’incarner ce qu’il n’était pas.

Il avait eu tellement peur.
Ne comptait plus les nuits où il avait fini tremblant, hésitant; poisseux. Où ses rêves l’avaient fait hurler, où sa mère lui avait manqué au point de lui retourner le ventre; de le plier en deux. Il avait déjà tant perdu — sa famille, son monde; ses amis. Son meilleur ami. Son rêve, à peine effleuré des doigts; sa vie. Il avait été dépossédé se tous ses biens; on lui avait arraché sa valeur, son patrimoine. On l’avait rendu insolvable, oui.

Aussi s’était-il tétanisé; à l’idée de décolorer. De se faire influencer par cette folie, par démence que trop violente purulent sur l’île. Tant d’êtres étranges, déchets et ombres d’eux-mêmes. Tant de criminels, tant de cadavres; de corps sans âme. Comment aurait-il survécu; oui, sans Nova ? Sans son instant de silence, sans son ancrage à l’innocence ? Il ne savait pas.

Et ne pas savoir lui arrachait des bouffées d’angoisses.
Car que faire, le jour; ou, l’un d’eux ne serait plus là ?

Il ne fallait pas y penser, que se répétait-il. Et apprécier, s’engouer du moment présent.

De ses pas sur les pavés; de son corps se rapprochant de l’antre — du lieu où elle se trouvait. Qu’allait-elle dire ? Comment allait-elle réagir ? Il voulait tant savoir; se remémorait son passé, ou tel un grand gamin il bourrait de surprises le quotidien de ceux qu’il aimait. Du visage toujours si expressif de sa mère; de ses yeux devenant si grands.


Serait-elle de même ?
Il lui semblait si difficile de contenir son sourire — riait déjà tout seul à l’idée de la voir. Était content de lui, un peu; comme ces enfants l’étaient lors de jours spéciaux, cadeaux en main. Lui n’avait que sa présence, et un peu de son temps. Mais que pouvait-il faire d’autre ? Il était là, humble; se voulant solennel, à se reprendre. Il lui fallait être sérieux, pour avoir plus d’impact. Peut-être; lorsqu’il franchirait l’embrasure de la porte, de l’entrée; commencerait-elle par regarder ses jambes.

Aussi devait-il avoir la démarche particulière, comme ces hommes d’affaires commencent un nouveau chapitre dans leur vie. Quoique — ne devrait-il pas plutôt plier genou, imiter ces délinquants de rue ? Ah, c’était si difficile.

Alors il avait laissé déborder son sourire, et s’était dit qu’il s’inviterait simplement — s’incarnerait lui-même. Conserverait son pas, sa moue; et lui offrirait tout son réel. Car ne méritait-elle pas ça, au final ? Elle devait voir des mises en scène; en jeu tous les jours et soirs durant. Pour quelques heures, il lui donnerait de l’espace, du naturel; du vrai et une oreille. Il lui offrirait son rire, ses commissures formant des parenthèses, ses pommettes rosissants. Il lui offrirait son innocence, comme certain lui offrait de la négligence.

Il se donnerait comme elle se livrait; et se dédicacerait comme l’on développait un regard aimant, en s’attachant.

Un, deux.
Il était entré.

Avait souri, aussi — murmurant un « bonsoir » quelque peu hésitant.
Ne savait, tout à coup; plus trop quoi dire, hormis « madame ».
S’était laissé échapper un rire.
Maladroit.

« Tu pétilles, Nova ! » avait murmuré Ji-Young, ébloui par sa jeune et belle amie. 
Aussi n’avait-il pas su quoi dire d’autre, trop pris par l’émotion et la vision de ce corps se hâtant vers lui, de ce regard le cherchant. Il avait voulu la saisir, oui, l’embrasser de ses bras; la piéger dans une étreinte pour la remercier, lui dire que tout irait. Qu’ils s’en sortiraient, qu’il y aurait de l’espoir pour eux et un bout d’avenir à partager — qu’il ne la lâcherait pas et qu’il savait qu’elle ne le ferait pas non plus. Qu’il avait confiance en elle, et qu’elle représentait son univers; à présent. Elle était ce rayon, compreniez-vous; cette lumière sincère venant le bercer le soir, apaisant son âme. Elle était un baume, son baume : l’unique personne à l’avoir soutenu, depuis qu’il était ici.

Alors ses mains à lui étaient allées chercher les siennes à elle, et il avait souri : « Tu viens toujours à moi, alors tu sais… » Courte pause, le temps de reprendre sa respiration — de la dévisager plus paisiblement, d’admirer son visage, ce qu’elle était. Comment pouvait-on se lasser d’une telle personne ? Et comment, oui; pouvait-on lui infliger de tels actes, soir après soir ? Comment ne pouvait-on que la prendre pour un outil ? Alors qu’elle semblait si éphémère, si apprêtée à aimer. « Je me suis dit que pour une fois, je pourrais te faire une surprise ? Être celui t’offrant une présence ? La mienne ? » Et il y avait eu cette pointe d’incertitude, d’hésitation; cette peur qu’elle n’apprécie ni le geste ni l’idée. Car il restait fragile, Ji-Young; n’avait fait qu’exister — ne s’était jamais attendu à voir son monde ainsi basculer. « Je me suis dit qu’avec ce que j’avais, pourquoi pas; je pourrais venir voler de ton temps. » Il appréciait cette idée, celle de lui dérober quelques instants de sa vie; de les lui arracher, pour mieux la monopoliser.

Il était venu lâcher une de ses mains, oui; pour effleurer pan de son beau visage, caresser du bout des doigts ses doux cheveux : « Ce soir, Nova; c’est ton soir. » Un soir où personne n’en saurait rien, un soir où on le prendrait pour le fougueux et impétueux Ji-Young; pour un homme qu’il ne serait jamais. Ce serait, oui; un moment secret, inconnu de tous sauf d’eux — où ils pourraient réinventer le monde à deux. Elle pourrait ainsi rire, dormir; crier, pourrait même danser et l’ordonner. Lui plierait, l’écouterait et raconterait : il serait son ami, son confident; serait son grand frère ou qu’importe d’autre. Serait tout ce qu’elle souhaitait qu’il soit, tant bien même cela voulait-il dire des choses qu’il ne savait pas.

Son sourire s’était fait fébrile, presque ému; heureux — heureux d’avoir quelqu'un d’aussi merveilleux dans sa vie, sur cette île. Il avait regardé cette alcôve; chambre dans laquelle ils étaient, s’était imaginé tout un univers de possibilités. Devraient-ils faire semblant ? Rien que d’y penser, ses oreilles rougissaient; il ne pourrait jamais. Était bien trop pudique, bien trop ignorant de ces passions subites; ne ressentait rien d’autre que la tiède affection et que la placide amitié : celle fidèle et sereine. Aussi devrait-il sans doute créer un rôle dans lequel se loger, s’incarner; aussi devrait-il inspirer un bon coup avant de ressortir, dans quelques heures. Il s’ébourifferait les cheveux, se taperait les joues; le front — aborderait la démarche de ces loups sans manière, de ces garçons sans âme. De ces êtres perdant peu à peu toute civilité, se décidant animaux; violence et arrogance. Enfin.

« Tu vas bien ? Ces derniers jours le temps est un peu poisseux, ce n’est pas très agréable; n’est-ce pas ? Je me demande si un typhon arrive, je n’ai pas encore connu de grosses pluies; ici — imagine, si tout était inondé ? » Et il était parti, Ji-Young; dans cette bulle un peu étrange, dans ses pensées et ses idées : tachant d’entrainer la seule en laquelle il avait vraiment confiance. « Etrangement, ça ne me fait pas peur. C’est peut-être mon côté un peu perdu, un peu rêveur ? J’aimerais voir; d’en haut du monde, de cette ile : perché sur un arbre ou sur la grande roue oui… Voir cette île couler à flot, se mêler à l’océan — ce serait sans doute beau, tu ne penses pas ? Enfin, je ne sais pas ! » Il avait ri, aussi; étrangement, doucement : l’entrainant de ses mains avec lui, la faisant tourner dans ce petit bout de salle; le regard joueur, taquin. « Mais bon, nous ne y sommes pas. Je suis là et tu es là; et tu sais quoi ? Ça me va. »

Ce présent qu’ils partageaient.
Scintillant.