YOON MEI - 당신을 항상 사랑

Allongée sur les draps soyeux, son corps tout entier était hésitant, silencieux, offert aux flashs agressifs sur sa peau opaline. Elle n'osait parler, la tête renversée, le regard creusant le mur de ses images hallucinogènes. Parfois, une main vient remettre en place sa jambe mal pliée, son sein révélé, ses courbes rebelles. Parfois, on lui jette un autre costume qu'elle doit enfiler. Les jolis noeuds galbent ses fines cuisses, le satin semble caresser l'opale peau frissonnante. Les mouvements farouches commencent alors et les flashs se font enclume contre la chair-offrande de la gamine, fausse cyber princesse angélique aux boucles ébènes à peine visibles sur les photos.
On retire la tâche de naissance en forme de crâne sur l'épigastre.
On lui retire ses dessous de satin qu'elle découvre du bout de ses doigts tremblants.
On la recouvre de ses haillons, poupée souillée.
Le festin est terminé, on s'débarrasse de sa carcasse vidée.
Alors que les effets de la drogue s'estompe, elle gît sur le sol de sa chambre en sous-sol, miteuse. Enfant-femme au corps bonbon, gamine sucrée au corps trop dévoilé. Elle ne sait jamais vraiment comment ça a commencé, pourquoi, avec quel genre de photos. Elle se demande s'ils ont toujours dévoilé sa fleur mammaire à défaut de la dentelle galbant son décolleté inachevé.
À quinze ans la main de papa défait le noeud lilas qui étreignait ses fines hanches tout en tenant de l'autre main la caméra. Les yeux de Mei sont mouillés. Les joues se teintent, ses mains jointes à hauteur de ses lèvres trop charnues se mettent à trembler. Farouche poupée apeurée par des gestes qu'on tente de lui inculquer. La main viril d'un père qu'elle n'a vu qu'à travers les appareils et caméras. Si tu renifles ta peine, il faudra tout recommencer. Lui disent ses démons accrochés aux lobes de ses oreilles. Le vue brouillée ne lui permet rien. La vue brouillée, les sens annihilés, la bouche entrouverte qui aspire l'air empoisonné de cette chambre de jouvencelle.
À dix-sept ans l'école au public restreint. Les amis inexistants. Elle est bizarre, c'te fille-poupée aux allures d'enfant. Elle a mal grandi. Elle cambre constamment. Elle a ces gestes qu'on appelle aguicheurs. Mais elle n'fait rien, Mei. Elle jure qu'elle n'a jamais cherché à attirer les regards sur ses dessous de satin, sous ses jupes d'uniforme, entre les boutons de son chemisier. Mei se contente d'essayer de vivre. Ça fait deux ans.
Puis un jour ils l'ont regardée autrement.
Puis l'école l'a expulsée. Rentrez chez vous mademoiselle Yoon. Nous ne pouvons tolérer une telle chose.
Elle ne dit rien, la bulle de mots qui effleure ses lippes demeure vide et silencieuse.
Elle aura essayé. Essayé d'vivre.

Dans ce monde silencieux, Mei.
Des semaines sont passées. Les yeux rivés sur l'écran, elle tape sur le clavier avec ses doigts peu accoutumés. Elle regarde une seconde trop long dans la barre des favoris. cyber-kitty, clique, tombe sur le site. Un gros chiffre, qui augmente. Faites une suggestion pour 6530￦. La liste comprend des suggestions de positions, de costumes, de couleurs, de partie du corps dévoiler. Recevez la photo chez vous pour le double. Une vidéo pour le triple. Des dessous usés sur les photos pour dix à vingt fois le prix d'une suggestion. Et ses yeux brillants des larmes d'une rage destructrice lorsqu'elle le voit, ces liens à la couleur criarde qui jure avec le rose ambiant. Elle y clique et son visage est dévoilé. Elle clique sur l'autre et la page facebook s'ouvre.
Yoon Mei.
Votre cyber-kitty favoris.
Puis elle comprend d'où viennent les regards, les clins d'oeil dans les couloirs, la convocation et l'avis d'expulsion. Mais ses larmes ne dévalent pas ses joues, ses orbes vidées de leurs émotions les retiennent et s'y noient.

Liquide vermeil au goût métallique, elle s'en délecte trop pour que son acte reste compréhensible. La rage dans la lame aiguisée, elle lui a d'abord ôté le bras duquel il tenait la caméra. Le cri strident a éveillé en la jolie sirène une envie soudaine de faire taire la victime. Pendant que sa mère se terre dans un coin de la chambre cotton-candy rose, elle brandit le couteau une fois. Plante. Deux. Plante. Trois. Plante. And so on. Le visage méconnaissable de son père s'écrase contre la moquette. La mère hurle.
쉿 그리고 추락
Première lame dans la gorge. Elle s'y accroche, se noyant lentement dans son sang cramoisi.
Seconde lame vient se loger dans dans son crâne.
Plus un souffle.
Dehors, on entend les sirènes.
Sur le sol de la chambre, Mei s'allonge, mains sur l'abdomen, regard vide.